Urgence sanitaire covid-19: Régularité des arrêtés de Maires souhaitant prendre des mesures barrières et de confinement encore plus strictes qu’au niveau national
Ordonnance n° 2003905 rendue le 9 avril 2020 par le Président du Tribunal administratif de CERGY-PONTOISE : Interprétation très stricte des conditions dans lesquelles un Maire peut aller encore plus loin que les mesures décidées sur le plan national
Une première décision a récemment été rendue par un Tribunal administratif sur l’arrêté d’un Maire, en l’occurrence celui de SCEAUX qui avait contraint ses habitants de plus de 10 ans à porter un masque, sur une procédure de référé-liberté initiée par la Ligue des Droits de l’Homme. Cette dernière obtient gain de cause puisque l’arrêté est suspendu.
Pour prévenir tout relâchement induit par l’usure que le confinement peut occasionner à bien des égards, le Maire, autorité locale de proximité quotidienne, peut légitimement être tenté d’aller encore plus loin que l’Etat, en imposant des mesures barrières et de confinement encore plus strictes.
Or, celui-ci est censuré par le juge administratif alors que ce dernier, comme souvent (parfois de manière incompréhensible ?), pend le soin de débuter la motivation de sa décision par la mention de l’objectif de sauvegarde de la santé de la population, ou encore la possibilité de prendre « toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie ».
Donc pour le juge administratif, l’application d’un principe de précaution ne compte pas parmi les dispositions de nature à prévenir une pandémie…
En dépit d’une telle contradiction, voici une tentative d’analyse de la décision et de recommandations.
De manière générale, le maire peut adopter pour sa commune des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, mais pour autant que les circonstances locales particulières le justifient notamment au regard de la menace de l’épidémie.
Si on lit attentivement la décision, voici ce qui est donc considéré comme trop général, ne pouvant ainsi fonder la légalité d’un tel arrêté :
- Il ne suffit pas de reproduire des extraits d’études et des avis émanant de scientifiques, quand bien même ceux-ci sont reconnus par la communauté médicale, si c’est dépourvu d’un « retentissement local » : autrement dit, le Maire devrait mandater des études médicales spécifiques et locales, notamment par rapport à sa population communale, pour motiver correctement son arrêté. On voit assez vite la difficulté d’une telle opération qui, de surcroît, peut impliquer une analyse statistique souvent discutée suivant les typologies de population.
- Quand bien même chacun peut l’observer ou l’estimer avéré, le motif du relâchement du confinement observé dans le Département ne suffit pas : sur ce point, le juge semble estimer suffisant un arrêté du Préfet interdisant l’accès aux parcs, jardins, etc. Sur ce point, il est vrai que le Maire peut améliorer la motivation de son arrêté par des éléments objectifs confirmant un relâchement, non pas sur le Département, mais sur le territoire propre de sa Commune (en fait, dans la présente affaire, un rapport de Police municipale évoquait de manière contradictoire le fait que les gestes barrières étaient « dans l’ensemble assez bien respectés »).
- Ensuite, et c’est un motif de suspension sur lequel la Juridiction apparaît comme plus mal à l’aise dès lors qu’elle s’en tient à un énoncé très succinct, on croit comprendre que le Maire ne peut pas objectivement faire acte d’anticipation par rapport à la levée du confinement, « dès lors que de telles considérations concernent une situation future » (le juge administratif connaît-il encore le principe de précaution ?). Raison de plus, à notre sens, pour motiver l’arrêté non pas par rapport à des données futures, et donc hypothétiques, mais par des données objectives autant actuelles que possibles.
- Enfin, le juge ne fait en fait pas application d’un principe qu’il rappelle lui-même, à savoir la faculté pour le Maire d’intervenir en fonction de circonstances locales : en effet, le Maire avait observé que la population de personnes âgées, la plus à risque, est de fait contrainte de faire ses courses sur une unique rue piétonne où se regroupent à la fois l’essentiel des commerces et la plus grande concentration de personnes ; le juge exclut notamment le motif parce que la municipalité avait par ailleurs mis en place un service de livraison de courses à domicile à destination des personnes âgées. Nous sommes en totale contradiction avec ce motif, et confirmons que rien n’interdit au Maire de prendre plusieurs mesures, à condition néanmoins d’être certain qu’elles n’entrent pas en contradiction les unes avec les autres ; dans le même temps, devant être proportionnée, il sera plus prudent de ne pas prendre de mesure trop générale sur tout le territoire de la Commune.
Et c’est peut-être ici que se trouve la clé de l’affaire, car on peut imaginer que la décision de suspension de l’arrêté n’aurait pas été prise par le TA, si le Maire avait par exemple cantonné l’obligation de porter un masque uniquement sur cette unique rue à risque ?
Cette affaire devrait être portée au Conseil d’Etat, mais il est certain qu’elle n’invite pas les Maires à agir aveuglément, tant les conditions de leur intervention sont strictes.
Cela rappelle assez bien la jurisprudence refusant aux Maires le pouvoir d’agir pour interdire les compteurs Linky, que ce soit sur le fondement des pouvoirs de police comme sur le fondement du principe de précaution, dès lors qu’il devrait s’agir d’un domaine n’ayant vocation à être encadré qu’un niveau national (CE, 11 juillet 2019, req. n° 426060, ENEDIS).
Le Conseil d’Etat, parfois trop confiné et/ou trop parisien, va-t-il profiter de l’état d’urgence sanitaire pour revoir un tant soit peu sa jurisprudence, en validant la capacité des Maires à être les premiers juges de l’opportunité des mesures, car en prise directe avec le contexte local avant même le Préfet ?
A suivre…
Mais dans l’attente, on ne saurait assez conseiller aux Maires qui envisageraient d’intervenir par voie d’arrêtés que de prendre un soin particulier à les motiver objectivement et à circonscrire leur application.