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Aménagement numérique du territoire, Réseaux d’initiative publique et Marchés publics

lundi, 31 juillet 2017 09:49

Si l’article 14 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics exclut du champ de la commande publique les contrats ayant pour objet d’exploiter des réseaux de communications électroniques ou de les mettre à la disposition d’autres opérateurs, qu’en est-il réellement en pratique ? La SELARL CHANON LELEU ASSOCIES a obtenu un commencement de réponse (TA GRENOBLE, Avis n° 2016-01 du 14 novembre 2016, Préfet de la Drôme).

Contexte de la question

L’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales ouvre aux collectivités territoriales ainsi qu’à leurs groupements, une compétence pour « établir » et « exploiter » sur leur territoire des infrastructures et des réseaux de communications électroniques. Ils peuvent également être opérateurs d’opérateurs, puisqu’ils « peuvent mettre de telles infrastructures ou réseaux à la disposition d’opérateurs ».

Ne nous y trompons pas, même si cette compétence peut être transférée à une structure projet type syndicat mixte ouvert, il ne s’agit pas d’en faire des Orange, Bouygues Telecom, ou encore SFR pour ne prendre que les plus connus.

En revanche, il faut bien rendre à César ce qui revient à César : les collectivités publiques dotées de cette compétence créent et exploitent ce que l’on nomme les « Réseaux d’initiative publique » parce qu’historiquement, les opérateurs privés ne se positionnent pas (assez ?) sur les zones blanches. Plus prosaïquement, ce n’est pas rentable pour eux d’intervenir en zones rurales (peu importe que ce soit l’utilisateur final qui en pâtisse…).

Tout étant relatif par ailleurs, ces opérateurs publics prennent finalement un risque économique et, en cela, sont les autorités organisatrices et gestionnaires d’un service public industriel et commercial.

Dès lors, qu’en est-il de leur soumission aux règles de la commande publique ?

Encadrement règlementaire

Pour reprendre l’expression usuelle, les règles applicables à la passation des marchés publics vont plutôt avoir vocation à s’appliquer aux services créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial.

Donc nous sommes plutôt en présence – au moins lorsque l’exploitation et la commercialisation du Réseau d’initiative publique devient rentable – d’un secteur « hors champ » du code des marchés publics.

L’article 14-15° de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (qui reprend dans les mêmes termes l’ancien article 3-13° du code des marchés publics) prévoit :

« Sous réserve des dispositions applicables aux marchés de défense ou de sécurité prévues à l’article 16, la présente ordonnance n’est pas applicable aux marchés publics passés par les pouvoirs adjudicateurs et qui présentent les caractéristiques suivantes : […]

 

15° Les marchés publics qui ont principalement pour objet de permettre la mise à disposition ou l'exploitation de réseaux publics de communications électroniques ou la fourniture au public d'un ou de plusieurs services de communications électroniques. »

Hormis la fourniture du service de communication électronique à l’utilisateur final, qui reste assez rare dans le giron public, on retrouve bien ici la compétence visée plus haut, tirée de l’article L. 1425-1 du CGCT, qu’est celle de l’établissement, l’exploitation et la mise à disposition des infrastructures et des réseaux de communications électroniques.

En clair, pas de code des marchés publics, même au stade de la création du réseau d’initiative publique…

L’utilisation de l’adverbe « principalement » rend toutefois malaisée la définition des contours exacts de l’exclusion, étant précisé que les risques sont souvent importants, dès lors les montants financiers en jeu des investissements le sont aussi. En soulignant également que le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics n’apporte aucun complément sur ce sujet.

Demande et obtention d’un avis du Tribunal administratif de GRENOBLE

Comme le soulignait déjà le Professeur Philippe Terneyre il y a plus de 6 ans, cette question suscite peu de jurisprudence, ou de doctrine (Terneyre Ph., AJDA 25 juillet 2011, p. 1469, Contrats dans le domaine des communications électroniques).

Le Cabinet Chanon Leleu conseille et accompagne le syndicat mixte Ardèche Drôme Numérique (ci-après, ADN), qui est confronté à cette problématique dans un contexte de rentabilité progressive de l’exploitation et de la commercialisation de son réseau. Tout en étant face à de nouveaux projets ambitieux (en particulier, le déploiement du FTTH : Fiber To The Home sur un territoire bi-départemental extrêmement vaste).

Il a donc été décidé de saisir le Préfet de la Drôme, le programme FTTH étant un défi concurrentiel majeur, aux fins de saisine du Tribunal administratif de GRENOBLE pour avis en application des dispositions de l’article R. 212-1 alinéa 1er du code de justice administrative.

L’idée était de savoir si l’exclusion des règles de la commande publique, pour une structure porteuse de la compétence Art. L. 1425-1 du CGCT, a vocation à être totale ou seulement partielle.

Les services de l’Etat ont suivi cette démarche.

Dans un avis du 14 novembre 2016, compliqué à retranscrire in extenso ici, le TA de GRENOBLE a répondu que :

« Le Tribunal est donc d’avis de répondre :

 

- A la première question, que l’exemption instituée par le 15° de l’article 14 précité de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ne s’applique qu’aux marchés par lesquels ADN achète des prestations directement utiles à la construction, à la gestion du réseau et à la diffusion des services rendus par cette infrastructure.

 

- A la seconde question, que les marchés par lesquels ADN achète des prestations directement utiles à la construction, à la gestion du réseau et à la diffusion des services rendus par cette infrastructure ne doivent être réintégrés dans le champ de l’ordonnance que dans l’hypothèse où ils permettraient, à titre principal, la vente de prestations d’études ou d’expertise. »

 

Le « commencement de réponse » n’est finalement pas très perceptible en pratique… Encore que, le fait de passer :

  • de l’adverbe « principalement » (pour objet de permettre la mise à disposition ou l'exploitation de réseaux publics de communications électroniques),
  • à l’adverbe « directement » (utile à la construction, à la gestion du réseau et à la diffusion des services rendus par l’infrastructure),
  • ne revient-il pas à élargir le champ des contrats exemptés de procédure préalable de publicité et de mise en concurrence ?

C’est ce que nous pensons.

Car finalement, dès lors que nous sommes le plus souvent en présence d’une structure dédiée qui n’est pas « multi-projets », la plupart des contrats passés seront effectivement rattachables à la mission statutaire relative aux réseaux publics de communications électroniques.

Enfin, sur la deuxième réponse du Tribunal, nous doutons qu’elle soit souvent mise en œuvre en pratique, puisque justement, la vente d’études sera finalement relative à la commercialisation des savoirs-faires des personnels de ces structures qui, par hypothèse, n’impliquera justement pas de procédure d’achat préalable !

En définitive, même s’il reste théorique dans ses développements, l’avis du TA va plutôt dans le sens d’une exemption générale…

Affaire à suivre, d’autant plus que le TA lui-même s’en remet à la réserve « de l’appréciation par la juridiction compétente statuant au contentieux ».

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